ECSTASY

Je n’voulais pas y aller. Avant de reprendre la route depuis Vienne, Philipp souhaitait que l’on parte en canoë pour quelques jours. Je n’avais pas un bon souvenir de cette pratique mais Philipp m’a tellement aidé et soutenu pour la partie autrichienne que j’ai accepté pour lui faire plaisir.

Une fois sur place, le canoë assemblé, on quitte la berge en direction du lac. Le vent effleure la surface de l’eau et trace son passage à la manière d’un mouvement de foule.
Dès le début du voyage, l’insistance du vent et la présence de cette masse d’eau immense absorbe mon énergie et me pousse à penser très lentement. Cette présence me plonge dans des pensées, donnant l’impression d’avoir consommé une substance psycho active.
Je suis fasciné par l’eau depuis l’enfance. Ouvrir les yeux sous la surface et observer une réalité déformée était une passion pendant les vacances estivales. La surface de l’eau, très sensible et informe, dévoile son humeur, parfois argentée, parfois remplie de lignes, parfois transparente.
Le vent ondule sur les clapotis, je fixe une arête et tente de suivre sa danse. L’image se décortique en teintes qui circulent furtivement.
Puis j’observe un motif ressemblant au dessin de l’écorce du pin, clignotant de manière chaotique tout en épousant une logique dans ses traits.
Cet instant n’a pas de durée, perd la notion et apprécie l’entièreté des émotions qui le submerge. Je suis en extase.
Le lendemain, un miroir reflète les nuages immobiles et les berges se répètent en symétrie. Il y a toujours cette pesanteur qui vibre dans la tête.
Avant j’allais voir des concerts plusieurs fois par semaine et certains m’ont transporté dans une transe extatique. Depuis que j’ai remplacé la saturation des amplis par la forêt, il m’arrive parfois de vivre des moments d’une extrême intensité. Les lendemains de ces expériences sont fades mais pas ce matin où je suis gratifiant envers Philipp qui m’a tiré vers cette nouvelle expérience.

📷 – @beneathasteelsky