JE QUITTE LE COCON

2 mars 25
Me voilà parti du foyer où la confection des sacoches, la planification des premiers itinéraires et les demandes de divers papiers ont occupé tout mon univers mental, je n’ai pas trop réfléchi et me suis projeté facilement au loin.
À présent je suis sur le seuil et suis encore lié à mon entourage du quotidien, à mon petit chat. Ça n’est pas du tout la même sensation que de partir bivouaquer une semaine dans les Alpes ou les Pyrénées. Ça j’y suis habitué mais en cet instant j’ai le sentiment de partir pour la première fois. C’est le grand vide, le frisson.
Je quitte le cocon.
3 mars 25
J’ai profité d’une insomnie pour lire les mémoires de Werner Herzog, cinéaste de renom, cinéma de l’impossible.
D’un regard contemporain son enfance peut paraître difficile dans une Allemagne en ruine au lendemain de la guerre, mais n’ayant eu d’autre point de comparaison à cette époque les choses se déroulent pour le jeune Herzog dans une simple banalité.
Ça me rappelle une discussion que j’ai eue avec ma grand mère où l’on discutait à propos de l’édredon. Elle aimait la période des foins lorsqu’on changeait le rembourrage avec de la balle fraîche, une odeur agréable s’en dégageait.
Puis, suite à une question stupide et matérialiste de ma part elle me répondit:Â
« Oui, c’est qu’à l’époque au village, il n’y avait pas de marchand de matelas! »
Il est certes idiot de comparer l’instantané de pays détruits et une réalité paysanne mais la descente depuis le bivouac a été beaucoup plus facile que son ascension la veille.
Je roule jusque derrière la Victoire, et vois depuis mon campement au dessus du lac, le Pilon du Roi ou j’ai dormis la veille.
4 mars 25
Je n’ai pas encore le rythme à coucher dehors, je rentre dans le duvet trop tôt à cause du froid même si je suis dans le sud et pas encore en altitude, je me réveille dans la nuit. Le rythme du soleil viendra bientôt dicter sa conduite.
Faire nouvelle peau.
Le corps s’adapte vite mais les premières sensations de saleté me gênent. Les toxines de la ville sortent en bouillie grasse et colle la peau aux vêtements mais au bout d’un moment la pureté du plein air et la crasse terreuse s’équilibreront pour former le nouveau cocon.
Les kilomètres filent sur des chemins en bords de vignes et les forêts sont pleines de chênes verts.
J’ai croisé la Durance et l’ai saluée en y plongeant.

5 mars 25
Au matin je monte sur une piste déserte qui serpente. Les ombres rasent de près ce petit relief et derrière, des plans en dégradés découpent les formes des montagnes déjà parcourues, la Victoire et sa forme typique puis un soupçon de Marseille.
Au col apparait le monde à venir, le Ventoux, la montagne de Lure qui voit sa pointe blanchie, et au fond les écrins.
Je me projette dans le voyage et pense aux cols où, en dévoilant un nouveau territoire, les pics montagneux me seront inconnus.
Je grimpe une dernière colline en fin de journée et me cale dans un champ à presque 1000 mètres d’altitude.

Je pars explorer de nuit, la dernière montée m’a fait battre le cœur et n’ai pas sommeil.
Je tombe sur une bâtisse abandonnée et m’y conte une légende, puis en rentrant au camp j’imagine des ombres mi-humaines mi-bestiales s’échapper de mon tarp pour filer dans les bois, ça m’excite et m’effraie en même temps.
J’ai encore un peu peur dans le noir.


6 mars 25
Je redescends sur des chemins boisés. En balancier sur les pédales , mes fesses n’épousent pas la selle pour les descentes, les mains agrippent les poignées avec l’index sur le frein. Des pierres volent et la trajectoire évite la traite ornière, c’est grisant!
Puis je mange une pizza à Montbrun, chose que je n’ai pas mangée depuis longtemps et la dégueule aussitôt, comme si le sport de veille donnait aussi la gueule de bois.
7 mars 25
La météo s’annonce très pluvieuse, je cherche un abri vers Die pour dimanche.
La routine s’installe…

C’est dans des circonstances un peu particulières que je publie ce premier article à propos du voyage. Un ami vient de nous quitter.

Tu aurais aimé partager un bout de ce voyage à vélo et j’aurais aimé te dire plus souvent je t’aime…