JURA
Je quitte Annecy, son lac et emprunte les pistes cyclables. Les voitures s’arrêtent pour laisser passer les vélos. Je plante le bivouac en milieu rural dans un champ mouillé.
Le lendemain je grimpe le sud du Jura depuis Champfromier, j’arrive au bout du jour à une bâtisse connue , le chalet Cottin. J’y avais passé une nuit avec Axel l’an passé et l’on s’était réveillés recouverts par la neige. J’y séjourne deux nuitées, afin de m’abriter d’une pluie diluvienne. C’est le moment de dessiner.

En fin de journée je pars explorer ces paysages colorés d’après la pluie.
Après la pluie tout scintille, les teintes sont graves, les mousses ressuscitent. Les gouttes continuent leurs chutes depuis les arbres où elles s’étaient un instant reposées, et désarticulent le tempo d’une symphonie forestière. Les oiseaux sont contents et ils le font savoir.


Sur la route des langues de neiges s’étalent, faisant la sieste, immobiles, puis avalent toute la route. Je pousse le vélo car c’est mou, je m’enfonce. Quelle idée d’avoir mis toute cette neige sur la route?!

Puis je croise un skieur de fond, il s’arrête interloqué et demande;
«Tu viens de quelle région ?
De Bretagne je réponds,
-C’est pour ça, il faut être breton pour faire du vélo sur la piste. Parce qu’un jurassien, t’en verras pas faire du vélo, du ski oui , mais pas du vélo.»
Puis on discute, je lui raconte que je cherche un bivouac et lui me demande si je n’ai pas vu passer une femme à ski. Je lui demande s’il a déjà vu la Vouivre ?
«ah oui je l’ai déjà vue, en tout cas elle traine par là quelque part dans la neige»
Je reste aux aguets et suis confiant pour le bivouac à venir. Au creux d’un bazar végétal, quelques mètres carrés d’herbe fraîche jettent mon dévolu. Pour le bon bivouac il y a une liste à cocher telle que, ensoleillement, eau à proximité, bois, possibilité de faire un feu, point de vue, mais parfois aucun de ces critères ne correspond et pourtant l’espace vous accueille. Autour du camp un relief très composé et rempli de mousses , des feuillus, des conifères, invite à la marche oisive. C’est à s’y perdre, la nuit est en route.

Je passe la frontière suisse, une frontière bien invisible, sans poste, sans douanier,et ressens tout de même une sensation de vertige. Une étape dans le lent processus de l’abstraction, les codes vont changer.
Je grimpe à nouveau dans le Jura mais Vaudois cette fois.
Je suis frappé par une différence dans la maçonnerie des murets. Une inclinaison est portée de chaque côté du mur et au sommet sont disposées des pierres plates à la verticale. Cette forme de triangle avec un carré à son sommet semble créer une embase à toute épreuve. Ils sont présents, épousent parfaitement le relief du terrain et semblent toujours être utilisés pour délimiter les pâtures. Ici aussi la vache semble vénérée.
Les cabanes et bergeries montrent une cohérence entre l’ancien et le neuf, il y a des fosses septiques pour accueillir le badaud l’été, le tout encadré par ces murets.

Cependant cette construction me laisse perplexe et ne sais l’expliquer.
NUIT FROIDE
Je souhaite atteindre une cabane à 1580 mètres d’altitude pour y passer les deux prochains jours, une météo pluvieuse est annoncée. Quand on vise une cabane , on ne sait jamais si elle sera ouverte, si on peut y passer la nuit.
Dès 1400 mètres la neige fondante me force à pousser le vélo, je m’enfonce, le vélo s’enfonce , je fais des détours pour éviter la neige et me dirige vers des atolls herbeux, naviguant d’île en île.
Je pose le vélo et vais explorer à pied. Il y a de plus en plus de neige, ça va être compliqué à deux roues.
Néanmoins l’endroit est particulier et je souhaite passer la nuit par là.
Finalement je trouve une place avec vue mais le seul plat est sur la neige. Le tarp noir se dresse sur un tapis blanc.
Depuis mon nid, j’observe la forêt sur le versant face, tentant de décrypter la façon de représenter ça en dessin. La journée a été nuageuse et la vue bouchée. En soirée la visibilité s’étend, et au loin des nuages aux formes particulières se détachent de la forêt. Je scrute, m’interroge, me dis que non pas possible, c’est bien trop gros! Mais pourtant il s’agit bien du Mont Blanc que je vois se détacher au loin. Je suis sous le choc, ça me parait tellement haut et j’imagine le Mont Arrarat le dépassant, projection du voyage…
La nuit sera très fraîche, mon matelas ne se réchauffera pas, sauf pour faire fondre la neige dessous, ça valait quand même le coup!

Je fais des allers-retours et me tâte à quitter le rêve. Un dernier bivouac, je vois une famille de cerfs en soirée puis à l’aube.
Je jure qu’on s’reverra Jura.

